Revenir au site

Compte rendu de la table ronde : Au cœur du débat sur l’avenir de l’électricité au Manitoba

· Général

Le 12 juin, près de 100 personnes se sont réunies à La Fourche, à Winnipeg, ainsi qu’en ligne, pour amorcer le dialogue social sur le présent et l’avenir de l’électricité au Manitoba. Organisée par le Réalité climatique Canada, Sustainable Building Manitoba, Manitoba Eco-Network et Wa Ni Ska Tan Alliance of Hydro-Impacted Communities, cette discussion marquait la première d’une série d’événements publics visant à démystifier le paysage énergétique du Manitoba en pleine mutation et à outiller la population pour prendre part activement aux décisions politiques touchant à l’énergie dans la province.

Bien que le réseau électrique manitobain soit souvent considéré comme l’un des plus propres au pays en raison de son fort taux d’alimentation à l’hydroélectricité, de nouvelles pressions (hausse de la demande, vieillissement des infrastructures, objectifs climatiques) s’ajoutent à des enjeux de longue date comme les impacts de l’hydroélectricité sur les communautés autochtones, révélant de profondes tensions sur la manière dont la province entend répondre à ses besoins énergétiques futurs. En réponse, Manitoba Hydro, une corporation de la Couronne, développe actuellement une nouvelle Planification intégrée des ressources (PIR), une feuille de route qui guidera la production et la gestion de l’énergie dans la province pour les décennies à venir. C’est dans ce contexte que la Réalité climatique Canada et ses partenaires ont organisé cet événement afin d’aider les citoyen·ne·s à s’engager de manière éclairée dans les consultations sur la PIR et dans les débats plus larges sur l’avenir énergétique du Manitoba.

La soirée s’est ouverte sur les paroles de l’ainée Ellen Cook, qui a témoigné des impacts profonds du développement hydroélectrique sur les communautés autochtones de la province. Son intervention a offert un contre-discours essentiel, remettant en question une vision purement économique ou technique du dossier énergétique — thème principal de cette première discussion. Elle nous a rappelé que toute discussion sur les systèmes énergétiques doit impérativement tenir compte de leurs conséquences humaines et écologiques.

broken image

L’ainée et gardienne de la langue Ellen Cook, de la Misipawistik Cree Nation, prononce un mot d’ouverture en soulignant les réalités vécues souvent négligées dans le cadre de débats sur l’énergie et la gestion des ressources.

Faits saillants

Animée par l’économiste Lynne Fernandez, la table ronde réunissait deux experts chevronnés du secteur énergétique : David Cormie, ancien directeur de la division de l’énergie en gros et des opérations chez Manitoba Hydro, et Bill Hamlin, ingénieur électricien et auteur de plusieurs plans de réduction des émissions pour Manitoba Hydro et le gouvernement du Manitoba. Ensemble, ils ont apporté un éclairage précieux sur les aspects techniques qui façonnent la planification énergétique à long terme de Manitoba Hydro et les choix difficiles à venir. Cette rencontre réunissant une diversité de parties prenantes visait à faciliter une discussion franche et ouverte sur la production et la consommation d’électricité au Manitoba, passée, présente et future. À noter que les propos tenus par les panélistes ne reflètent pas nécessairement la position Réalité climatique Canada.

Un système sous pression

D’ici l’hiver 2030-2031, Manitoba Hydro estime avoir besoin de 500 mégawatts supplémentaires pour répondre à la demande de pointe en hiver — soit l’équivalent de l’alimentation de 200 000 à 500 000 foyers.

Pour Hydro, le défi ne se limite pas à répondre à la demande moyenne. Il faut aussi assurer un approvisionnement fiable même en période de sécheresse, disposer d’un réseau de transport capable de fournir de l’électricité sans interruption et garantir assez de puissance disponible lors des matins de janvier les plus froids (avec une marge de réserve de 12 %). Or, atteindre les cibles climatiques du Manitoba nécessitera de remplacer les systèmes de chauffage au gaz par des thermopompes électriques, ce qui rend la tâche encore plus ambitieuse.

Certaines des solutions envisagées soulèvent déjà la controverse, notamment la construction d’une nouvelle centrale au gaz naturel. Ce projet, inclus dans le projet de IRP de Manitoba Hydro, a suscité une vive opposition de la part d’organisations environnementales. Dans une lettre ouverte cosignée par la Réalité climatique Canada, les signataires affirment qu’un tel virage vers les combustibles fossiles mine les engagements climatiques de la province.

Mais pourquoi Manitoba Hydro envisage-t-elle cette option? Cormie a expliqué qu’Hydro exporte généralement son surplus d’électricité en été, puisque les impacts techniques, écologiques et sociaux empêchent l’utilisation du lac Winnipeg comme réservoir de stockage. De plus, les ententes de “swap” historiques avec des services publics américains — qui permettaient de recevoir de l’électricité en hiver en échange d’exportations estivales — prendront fin vers 2030. Or, avec la fermeture progressive des centrales au charbon et au gaz aux États-Unis au profit de l’éolien et du solaire, ces partenaires ne peuvent plus garantir des approvisionnements fiables en hiver.

Redéfinir la fiabilité

Une grande partie de la discussion a porté sur l’intégration des énergies renouvelables au réseau manitobain. Comme l’a indiqué Cormie, l’un des enjeux est que le solaire produit peu d’électricité lors des matins d’hiver sombres et glacés, alors que la demande est à son pic, et que la production éolienne est difficile à prévoir, ce qui pousse Hydro à miser davantage sur des sources dites « pilotables » comme l’hydroélectricité ou le gaz.

broken image

De gauche à droite : Lynne Fernandez (modératrice), David Cormie (panéliste) et Bill Hamlin (panéliste).

Mais cette manière de présenter les choses peut sous-estimer le potentiel réel des renouvelables dans un réseau modernisé. La fiabilité du solaire et de l’éolien ne dépend pas uniquement du soleil ou du vent ; elle repose sur la manière dont le système est conçu pour les intégrer.

Des études récentes montrent que l’énergie renouvelable est plus fiable et abordable qu’on ne le pense. Selon Clean Energy Canada, l’énergie éolienne et solaire combinée à du stockage par batteries est déjà compétitive avec le gaz naturel en Alberta et en Ontario, et elle est moins vulnérable aux fluctuations des prix des combustibles fossiles.

Par ailleurs, une étude de l’Institut Pembina révèle que les panneaux solaires fonctionnent bien même en hiver. En Alberta, la neige n’a entraîné qu’une baisse annuelle de 5 % de la production solaire, bien loin des pertes de 20 à 30 % souvent évoquées. Des panneaux bifaciaux, capables de capter la lumière réfléchie sur la neige, permettent même d’augmenter les rendements. Quant à la fumée des feux de forêt, elle peut affecter la production solaire estivale, mais l’impact reste limité et peut être pris en compte dans une planification adéquate.

Ces résultats montrent que le solaire et l’éolien peuvent jouer un rôle clé dans un réseau fiable, lorsqu’ils sont appuyés par des solutions de stockage, des programmes d’efficacité énergétique et une gestion de la demande. Les panélistes ont d’ailleurs souligné l’importance de mesures non liées à la production, comme des codes du bâtiment plus ambitieux, des programmes d’efficacité énergétique et le déploiement massif de thermopompes, en particulier dans les zones non desservies par le gaz naturel. Ces solutions permettent de réduire la demande de pointe, de limiter les émissions et d’éviter le recours à de nouvelles infrastructures fossiles.

En somme, même si les modèles actuels de Manitoba Hydro reflètent des préoccupations légitimes, les défis liés à l’intermittence ne sont pas des obstacles insurmontables : ce sont des questions de conception. Les technologies et les expériences d’autres provinces démontrent qu’un réseau propre, fiable et alimenté par des renouvelables est non seulement possible, mais de plus en plus réaliste.

Et maintenant?

broken image

Des membres de la communauté locale assistent attentivement à la table ronde pour mieux comprendre comment les solutions énergétiques peuvent inspirer un changement concret au Manitoba.

Un message clair s’est dégagé de la soirée : la transition énergétique ne se fera pas uniquement par la technologie. Elle nécessitera de la volonté politique, un leadership communautaire fort et la capacité de remettre en question les façons de faire héritées du passé. À travers cet événement, le Projet de la réalité climatique Canada et ses partenaires ont voulu renforcer la littératie énergétique des Manitobain·e·s afin qu’ils puissent participer aux consultations publiques et revendiquer une action climatique plus ambitieuse de la part de Manitoba Hydro et du gouvernement provincial.

Cette table ronde n’est qu’un début. D’autres événements à venir permettront d’explorer les dimensions sociales, écologiques et politiques du système électrique manitobain. Car si nous voulons un avenir juste, résilient face aux changements climatiques et carboneutre, nous avons besoin d’un plan à la hauteur des réalités actuelles, et non seulement de celles qui s’intègrent bien dans un tableur.

Restez à l’écoute, car la conversation ne fait que commencer!

L’enregistrement de la table ronde sera bientôt disponible.