Un bourdonnement industriel persistant flotte dans l’air de Port Morien, au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Il traverse murs et fenêtres, s’infiltre jusque dans les chambres et empêche les habitant·e·s de dormir. Depuis plus de cinq ans, ce ronflement est devenu la toile de fond de la vie quotidienne dans les petites communautés côtières entourant la mine souterraine sous-marine de charbon de Donkin.

La mine de Donkin sur une carte.
La mine de Donkin, dont les tunnels s’étendent sous l’océan Atlantique, est minée de problèmes de sécurité et de préoccupations environnementales depuis le début de sa production en 2017. Bien qu’elle soit à l’arrêt depuis juillet 2023, deux énormes ventilateurs continuent de rejeter du méthane provenant de ses galeries vers l’air libre. Avec eux vient le bruit : une « tonalité pure » inéluctable (un son basse fréquence particulièrement perturbant et difficile à atténuer) que les habitants décrivent comme une source d’insomnie, d’anxiété et de stress.
Le ronflement continue, la riposte s’organise
À sept kilomètres de la mine, Catherine Fergusson a été la première à réagir contre ce bourdonnement persistant qui venait de commencer à s’infiltrer dans les maisons de Port Morien et des environs. Lorsque le bruit a commencé en 2019, elle a contacté ses voisin·e·s pour leur demander : Vous l’entendez aussi ? Les réponses qu’elle a reçues étaient claires : les personnes vivant dans un rayon de 7 à 14 km étaient profondément dérangées, et rien n’était fait pour y remédier.
Cette première conversation a mené à la création de la Cow Bay Environmental Coalition (CBEC), un groupe communautaire déterminé à s’attaquer au bruit industriel et à défendre la santé des résident·e·s locaux·ales qui en sont affecté·e·s. Plusieurs de ses membres — des retraité·e·s, des habitant·e·s e longue date, dont l’un dans la quatre-vingt-dizaine ! — n’avaient aucune expérience préalable en matière de mobilisation. Tous partageaient une conviction : cette pollution sonore n’était pas qu’une nuisance, mais bien une crise de santé publique.
La CBEC a commencé par écrire des lettres, recueillir des plaintes, publier des articles dans les journaux, contester des permis industriels et rencontrer des décideurs (y compris l’ancien ministre provincial de l’Environnement et du changement climatique en 2021). Elle a consulté une entreprise britannique spécialisée dans le bruit et les vibrations industrielles, qui a confirmé qu’il s’agissait d’une tonalité pure — la pire que l’entreprise avait observée en plus de 30 ans — et qu’il était prévisible que la communauté s’en plaigne. La coalition a sans cesse réclamé que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse effectue un suivi sonore indépendant et mette en place des mesures d’atténuation adéquates — sans succès.
Malgré des années d’efforts, le problème reste entier. Les habitant·e·s continuent de subir de graves impacts sur leur santé : crises de panique, dépression, anxiété, vieillissement prématuré lié au stress, maux de tête sévères, troubles de l’équilibre et même baisse des capacités cognitives. Certain·e·s dorment à la cave. Une famille a fini par vendre sa maison et quitter la région.

Une pancarte indique : « KAMERON COAL – STOP THE NOISE – LET US SLEEP. »
Les revendications de la coalition sont claires : mettre fin au bruit et obtenir une réponse sérieuse du gouvernement provincial. Avec le temps, leur mobilisation a aussi soulevé une question plus large : pourquoi cette mine de charbon, aussi nuisible qu’inutile à la production énergétique locale, est-elle toujours autorisée à fonctionner ?
Un gouvernement à contretemps
La communauté entourant la mine de Donkin possède une longue histoire minière. La mine appartient à Kameron Coal (une filiale du producteur américain The Cline Group), mais la réglementation et l’octroi des permis relèvent du gouvernement provincial. Or, celui-ci a esquivé ses responsabilités pendant des années, offrant des promesses creuses et ignorant les rapports techniques, les propositions d’atténuation et les témoignages des résidents.
La CBEC a aussi dénoncé le lourd bilan environnemental de Donkin. La mine extrait du charbon métallurgique, qui émet davantage de gaz à effet de serre par tonne que le charbon thermique. Sa poursuite rend pratiquement impossible l’atteinte de l’objectif de la Nouvelle-Écosse de réduire ses émissions d’au moins 53 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.

De la fumée s’échappe d’un incendie souterrain à la mine de Donkin (Daniel Dillon/Facebook).
Les impacts négatifs de la mine dépassent largement le bruit et la pollution atmosphérique. Les membres de la CBEC s’inquiètent aussi des risques écologiques liés aux émissions de méthane. Le charbon extrait est de faible qualité, et la mine a connu plus d’une douzaine d’effondrements de toit en quelques années, compromettant la sécurité des travailleurs et travailleuses. Pour couronner le tout, sa production est exportée à l’étranger, laissant aux Néo-Écossais toute la pollution, mais aucun bénéfice énergétique.
Et aujourd’hui encore, Kameron Coal reste muette, alors que la mine est à l’arrêt depuis deux ans. Ni Catherine ni les membres de la CBEC, ni la communauté de Port Morien, n’ont été informés des projets d’avenir pour le site.
Hausser le ton
Au début de 2024, la coalition a décidé qu’il était temps de rendre ce bruit impossible à ignorer. Chaque jeudi, du 27 février au 20 mars, Catherine a organisé une série de manifestations devant l’édifice provincial de la Nouvelle-Écosse, à Sydney. Lors de chaque rassemblement, un enregistrement du bourdonnement de la mine était diffusé pendant 11 minutes, donnant aux passant·e·s et aux élu·e·s un aperçu concret de ce que signifie vivre à proximité d’un bruit industriel incontrôlé.
Ces actions ont attiré l’attention du nouveau conseiller municipal Steven MacNeil, qui s’est rendu chez un résident pour entendre le bruit de ses propres oreilles. À la suite de cette visite, il a invité la CBEC à présenter son dossier au conseil municipal.
Le 10 juin, la municipalité régionale du Cap-Breton a adopté à l’unanimité une motion de soutien à la coalition. Après des années d’organisation, les habitants ont enfin vu leur vécu reconnu officiellement.
« [L’adoption de cette motion de soutien était] quelque chose que je n’avais jamais vécu auparavant », partage Catherine. « [Cela envoyait] le message que notre santé et notre bien-être comptent. »
Le conseil pourrait bientôt suivre avec une lettre officielle au gouvernement au nom des résidents affectés — un geste symbolique mais important vers la reconnaissance et la solidarité. Mais les mesures concrètes manquent encore. Catherine croit que de véritables progrès nécessiteront dialogue constant et pression citoyenne, et pas seulement un soutien symbolique.
Le son de la résistance
La mine de Donkin est sans doute un symbole de tout ce qui dysfonctionne. C’est une exploitation vieillissante, dangereuse pour les personnes et pour la planète, maintenue en vie par l’inertie et la commodité politique. C’est aussi un exemple quotidien, implacable, de ce qui arrive lorsque les intérêts fossiles sont protégés au détriment des vies humaines.
Mais la coalition qui se lève contre elle incarne une autre vision : le soin collectif, l’action intergénérationnelle et l’organisation citoyenne qui mettent la santé des communautés et la responsabilité environnementale au premier plan. Le travail de la CBEC démontre que des personnes ordinaires, même sans expérience préalable, peuvent s’unir et faire entendre une voix aussi constante et impossible à ignorer que le bruit qu’elles dénoncent.
Pour Catherine et ses camarades, la lutte va bien au-delà de l’arrêt du bourdonnement industriel. Il s’agit de rendre des comptes aux institutions, de redéfinir la santé publique en y intégrant le bien-être environnemental et de refuser d’être mises de côté par l’inaction gouvernementale.

Des habitants manifestent devant la mine de Donkin avec des pancartes dénonçant ses émissions de méthane et la fréquence de ses ventilateurs. Une pancarte interpelle le premier ministre Tim Houston : « Stop the noise now. »
La coalition continue de sensibiliser aux impacts négatifs de l’extraction du charbon par des actions et manifestations. Elle concentre actuellement ses efforts sur une pétition à l’Assemblée législative et auprès du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Tim Halman, demandant des mesures immédiates pour faire cesser la tonalité pure et une évaluation honnête et précise des impacts sonores de la mine.
Si le soutien municipal est une étape importante, la CBEC sait que le véritable changement viendra seulement d’une pression publique soutenue. Elle s’est alliée à d’autres groupes en Nouvelle-Écosse pour amplifier ses appels et inscrire ce combat local dans un mouvement plus large de justice environnementale.
Elle élargit aussi son action : la Cow Bay Environmental Coalition a récemment rejoint le réseau national des Carrefours climatiques communautaires de Réalité climatique Canada, travaillant aux côtés d’autres Comités à travers le pays pour obtenir des changements grâce à l’organisation locale, au plaidoyer et à la mobilisation citoyenne.
« Cette voix unie ne fera que grandir avec le temps », affirme Catherine.
Et dans l’ombre d’une mine qui tente d’étouffer la contestation, cette voix s’élève — non seulement plus forte, mais inébranlable, construisant un mouvement qui ne sera pas réduit au silence.
En savoir plus sur les efforts de mobilisation contre le bruit de la mine de Donkin (en anglais seulement).
Écoutez Catherine Fergusson parler de la mine de Donkin dans un épisode de la série balado Municipal Affairs du Cross Border Network (en anglais seulement).