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Marouane Joundi, perspectives de la COP27

Marouane est allé à la COP 27, et selon lui «il y a un rôle pour tout le monde tant que l’on travaille ensemble»

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Marouane Joundi est chargé de projet à la Fondation Rivières. Titulaire d'une maîtrise en science politique, il s'est activement impliqué dans le mouvement étudiant pour l'action climatique en 2019 et 2020. Originaire du Maroc, Marouane a participé à la COP 27 avec une grande sensibilité pour les enjeux de justice internationale et les impacts des changements climatiques sur le continent africain. Marouane a assisté à la COP27 en tant que membre de la délégation de Génération Climat Montréal. 

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En tant que membre d'une délégation de la société civile, comment contribue-t-on à la discussion et influence-t-on les négociations ?

Cette année, la COP 27 a compté entre 20.000 et 30.000 membres de délégations. Autant dire que l’on peut vite se sentir comme un poisson perdu dans un vaste océan, désorienté dans l’espace physique parfois labyrinthique et dans le langage onusien technique et riche en acronymes. D’autant plus lorsque c’est la première fois qu’on y participe comme c’était mon cas. J’avais de grandes idées et des objectifs ambitieux en arrivant, mais j’ai vite compris que j’allais devoir revoir mes attentes à la baisse.

Mon expérience m’a appris trois choses:

1. On contribue en apprenant, en se familiarisant avec le jargon des négociations climatiques et plus généralement, avec les procédures et l’univers mental des processus onusiens. Les changements climatiques sont un problème global qui exige une réponse globale, il est donc essentiel de comprendre les mécanismes de la concertation mondiale pour voir les interstices où la société civile peut s’infiltrer et influencer les choses. Apprendre sert à mieux réfléchir et cet apprentissage doit être transmis.

2. On contribue en s’organisant en groupe, notamment avec des personnes plus expérimentées et connaisseuses. Ainsi, dans la multitude de choses qui se passent simultanément à la COP, on peut se répartir les négociations à observer ou les conférences parallèles, pour prendre des notes de manière efficace, pour surveiller les nouvelles et faire le lien avec le pays, pour aller en éclaireur à la recherche des politiciens sur place… Il y a un rôle pour tout le monde tant que l’on travaille ensemble.

3. Enfin, l’essentiel du travail d’influence se fait moins dans les salles de négociation qu’à l’extérieur en rencontrant les représentants de gouvernement, en leur posant des questions difficiles, en faisant des suivis sur les dossiers domestiques, en pensant à l’impact local à l’année longue de ce rendez-vous international par des jeux d’échelle intéressants. Mais aussi, et surtout, en rencontrant les membres des sociétés civiles de partout à travers la planète pour mettre des visages, des sourires ou des larmes sur les impacts en apparence éloignés de la crise climatique. Par exemple, la société civile internationale a aussi répondu aux appels à la solidarité de mouvements pour les droits humains en Egypte en réclamant la libération des prisonniers politiques, dont Alaa Abdel Fattah. 

Pensez-vous que la présence de plus de 600 représentants des intérêts des énergies fossiles a eu un impact sur les décisions prises pendant de cette COP et quel rôle a joué le Canada lors des négociations ?

La COP est un microcosme qui représente très bien les intérêts économiques divers et inégaux qui s’entrechoquent dans la planète et au Canada même. Je ne saurai démontrer l’impact des représentants d’intérêts des énergies fossiles, mais leur forte présence n’est sans doute pas étrangère aux tractations longues et difficiles qui ont eu lieu sur la sortie du pétrole et du gaz, laquelle n’a finalement pas figuré dans le texte de consensus final.

Par exemple, les Emirats Arabes Unis, qui organisent la COP 28, ont eu une délégation officielle composée de 70 représentants issus de ce secteur, en première position devant la Russie avec 33 représentants. Le Canada, quant à lui, comptait 8 représentants dans sa délégation, dont la vice-présidente de la compagnie albertaine Cenovus que j’ai pu questionner et qui défendait avec ferveur les efforts de l’Alberta et de l’industrie des sables bitumineux dans la réduction des émissions de méthane aux côtés de la Ministre de l’Environnement albertaine Sonya Savage.

Le Canada tenait une position pour le moins ambivalente, en bloquant pendant longtemps les efforts pour reconnaître la nécessaire sortie des énergies fossiles pour respecter les cibles de carboneutralité en 2050, tout en jouant un rôle positif avec l’Allemagne pour pousser l’important dossier de la finance climatique et des pertes et préjudices.

Comment réagissez-vous au fait que la sortie des énergies fossiles n’ait pas été mentionnée dans la déclaration finale, bien que le consensus pour en sortir s'est pourtant élargi autour de l’Inde ?

Il semble qu’à chaque année, une nouvelle tactique émerge pour éviter de mentionner la sortie des énergies fossiles. Tantôt on parle de technologies de capture de carbone que l’on attend toujours, tantôt on parle d’hydrogène vert sans comprendre vraiment ce dont il s’agit… Cette année à la COP, j’ai beaucoup entendu parler de l’objectif de rendre le pétrole et le gaz les plus propres possibles, un non-sens complet. J’ai aussi beaucoup entendu parler de réduction des émissions de méthane issu de l’exploitation de gaz (réduction essentielle, bien sûr) mais très peu de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux énergies fossiles plus globalement. Tôt ou tard, la sortie des énergies fossiles se fera. On sait que cette sortie ne sera pas simple, prendra du temps et exigera un travail et un niveau de dialogue social inédits. Il est essentiel de poser officiellement cet horizon d’action, le plus vite possible, pour que ce travail long, laborieux, mais structurant pour le reste du siècle (et au-delà, je l’espère) puisse enfin commencer.

Les Etats historiquement responsables de la crise climatique se sont engagés à financer les pertes et préjudices subis par les Etats les plus vulnérables. Que savons-nous de ce fonds ?

La création du fonds pour les pertes et préjudices est une avancée historique et le fruit de longues années d’une mobilisation infatigable des activistes des États du Sud global exposés aux catastrophes dues aux changements climatiques. Il s’agit d’une reconnaissance importante du principe de justice climatique et de la responsabilité des pays historiquement émetteurs de gaz à effet de serre de leur rôle dans le financement des réparations aux pays victimes des changements climatiques. Ce fonds reste à être financé et il y a débat quant à la participation d’Etats économiquement puissants comme la Chine ou l’Arabie Saoudite.

Quelles ont été les plus grandes difficultés, mais aussi les plus belles réussites de la COP 27 ?

La COP27 a été marquée par de nombreuses difficultés logistiques et d’accessibilité, notamment à cause de la hausse soudaine et vertigineuse des prix du logement dans la ville-hôte de Charm-el-Cheikh. La discussion sur les pertes et préjudices était une grande nouveauté, ce qui s’est en même temps traduit par une difficulté à l’intégrer convenablement à l’agenda et à en traiter de manière complète. La stagnation sur les solutions fondamentales face à la crise climatique est enfin décevante et décourageante. De nombreux Etats ont mentionné la possibilité d’un bris de confiance à défaut d’avancées concrètes sur l’objectif de maintenir l’augmentation de température terrestre à 1.5 degrés celsius.  

L’élargissement du consensus pour la sortie des énergies fossiles est néanmoins encourageant: il englobe 80 États et offre à la société civile une opportunité précieuse de se mobiliser et imaginer des stratégies d’alliance et d’influence pour jouer un rôle de premier plan à la COP 28, organisée dans un État qui symbolise très bien l’emprise économique et politique du secteur pétrolier. On peut en outre saluer la décision du gouvernement du Québec de rejoindre les Etats de l’alliance Beyond Oil and Gas (BOGA). Enfin, cette cinquième COP africaine a reconnu l’importance de préserver les ressources en eau et les écosystèmes aquatiques en prévision des impacts à venir, mais aussi d’assurer des systèmes alimentaires durables face aux pressions et de protéger la biodiversité considérant les liens entre crise du vivant et crise du climat. Ces conclusions dressent bien la table pour la COP 15 à venir.

Marouane a remporté le concours "Ma thèse en 3 minutes" de l'Association canadienne de science politique pour son sujet de mémoire de maîtrise - à paraître au printemps 2023 -"Québecor et les écologistes : polémique, polarisation et pistes de dépolarisation" (Université de Montréal).

Vous pouvez également le suivre sur Twitter @MarouaneJx

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