« Ferme la porte ! On chauffe dehors ! »
« Choisis donc ce que tu veux manger AVANT d’ouvrir la porte du frigo ! »
« Pourquoi la télé est-elle allumée ? Tu ne la regardes même pas. »
« Attends que la laveuse soit pleine avant de la mettre en marche ! »
Lorsque je réfléchis aux ordres qu’on me lançait le plus dans ma jeunesse, je constate qu’ils concernaient presque tous le gaspillage monétaire.
Plusieurs années se sont écoulées depuis cette époque. De nos jours, il est bien connu que la pollution, la perte de biodiversité et les changements climatiques mettent en péril la pérennité de notre espèce. Pourtant, la nature humaine et le système capitaliste font en sorte que les préoccupations financières demeurent indétrônables en tant qu’enjeu de priorité.
Heureusement, il existe d’innombrables initiatives qui réussissent à marier les intérêts financiers et le bien de la planète : on pense ici entre autres aux contenants consignés, aux maintes subventions pour rénovations vertes et aux taxes sur certains biens de consommation, tels que les pneus et les télévisions.
Avec les innovations en technologie et en approches au développement durable, il devient de plus en plus évident que le virage vert a le potentiel d’être très lucratif. Les propriétaires de restaurants le réalisent – et offrent de plus en plus d’options végétaliennes sur leur menu. Les producteurs de voitures le réalisent – et s’empressent de réclamer une part de marché effervescent du véhicule électrique. Les propriétaires d’entreprises le réalisent – et optent pour des systèmes d’éclairage et de chauffage écoresponsables et efficaces afin de réduire leurs coûts d’opération. Les municipalités le réalisent aussi – et de plus en plus d’entre elles optent pour un système de pollueur-payeur en ce qui a trait aux déchets.
Ce système, mieux connu sous le terme Pay as You Throw, est basé sur le principe de facturer les citoyens selon la quantité de matières résiduelles qu’ils envoient en enfouissement. Le concept peut prendre plusieurs formes. Certaines municipalités vendent des sacs à déchets distinguables et n’acceptent que ceux-ci dans les camions d’ordures. De manière similaire, certaines vendent des autocollants ou étiquettes qui doivent être apposés sur les sacs mis aux poubelles, sans quoi ils ne seront pas ramassés. D’autres municipalités offrent plusieurs formats de bacs aux citoyens et chargent un taux selon la grosseur choisie. Certaines, dont le budget le permet, utilisent une technologie de micropuce pour déterminer le contenu des bacs et pour automatiquement facturer en conséquence. Certaines municipalités optent même pour un mélange de ces options. Peu importe la recette choisie, le fonctionnement général demeure le même : plutôt que couvrir les coûts de gestion des déchets en utilisant une portion des taxes municipales, les villes chargent les foyers selon les déchets qu’ils génèrent.
Ce système comporte plusieurs avantages. Tout d’abord, en créant un incitatif à réduire les déchets, ces municipalités réussissent à augmenter la durée de vie de leurs lieux d’enfouissement et à reporter la création d’un nouveau. De plus, les lieux d’enfouissement de ces municipalités comportent moins de matières dangereuses et nécessitent donc moins de gestion. Les citoyens séparent leurs matières résiduelles avec davantage de soin afin d’économiser, ce qui se traduit en hausse potentielle de revenus provenant du recyclage pour les municipalités. Pour les citoyens, il s’agit d’un système plus équitable, puisque ceux qui produisent moins de déchets ne subissent pas le fardeau des coûts associés à la gestion des déchets de leurs concitoyens qui en génèrent plus. Du même coup, le système Pay as you Throw laisse place à une réduction de taxes, ce que le citoyen invite généralement à bras grands ouverts.
Beaconsfield est la première ville canadienne à avoir implanté un tel système et il s’agit d’un véritable succès. Auparavant, 86% des citoyens sortaient leur bac au chemin hebdomadairement; dès la mise en place du système, ce chiffre a chuté à 55%. En réduisant le nombre de camions nécessaires (ils en avaient 8 et n’en ont désormais que 3) et le temps qu’ils passent sur la route, la municipalité économise approximativement $200, 000 annuellement en coûts d’opération. Les déchets envoyés en enfouissement ont diminué de presque 50%. La collecte des résidus verts à Beaconsfield est passé de 75 tonnes en 2013 à 934 tonnes en 2015 – un saut de 1750%! La ville, qui était la deuxième plus grande génératrice d’ordures par personne, occupe maintenant l’avant-dernière place au pays.
Ces chiffres témoignent de l’impact que peut avoir une initiative verte qui permet aux citoyens d’économiser. Même si les considérations financières constituent l’incitatif premier au début, la sensibilisation en découle par défaut lorsque les citoyens réalisent que la gestion saine des matières résiduelles est aussi bonne pour l’économie qu’elle l’est pour l’environnement. Beaconsfield jouit désormais d’une communauté sensibilisée aux enjeux environnementaux et fière de sa position en tant que chef de file au pays en ce qui a trait à la protection de la planète.
La collecte de déchets est un service malheureusement pris pour acquis par la vaste majorité de la population canadienne. Lorsqu’il fait disparaître nos déchets – comme par magie – le camion à ordures emporte avec lui la possibilité de réellement saisir l’ampleur de notre consommation et de l’impact des matières résiduelles qui en découlent. Afin de préserver notre planète, il est essentiel de changer nos habitudes de consommation; et la transition nécessaire n’aura lieu que si chacun reconnaît sa contribution au problème environnemental. Le concept du pollueur-payeur est un outil puissant et efficace parce qu’il oblige le consommateur à faire face à son rôle dans la destruction de la planète et le force à assumer les coûts proportionnellement reliés à ses choix.
L’argent est un incitatif redoutable pour changer les comportements. Compte tenu de l’urgence d’agir et du succès du système Pay as You Go, il serait peu surprenant de voir ce système se répandre à travers le pays. J’ai bien hâte que le discours de discipline typique des parents évolue afin d’inclure :
« On ne jette pas cela aux poubelles ! Ça coûte cher ! »
Cet article a été publié à l'origine sur Léveillé conseil.