La vallée de la rivière Saskatchewan Nord, longtemps un refuge protégé pour la faune et un havre de verdure pour les résident·es, est aujourd’hui menacée. Les espaces verts et les zones naturelles protégées sont essentiels pour rendre les villes plus sûres à mesure que la crise climatique s’aggrave. Les membres du Edmonton Climate Hub travaillent sans relâche pour sensibiliser la population, établir un dialogue avec les élu·es et faire évoluer les politiques afin de protéger ce paysage précieux, profondément ancré dans la vie des habitant·es de la capitale albertaine. Leur histoire peut inspirer des villes et des communautés partout au pays à renforcer leur résilience climatique grâce à l’engagement civique.
En août dernier, le conseil municipal d’Edmonton a voté en faveur d’une refonte du North Saskatchewan River Valley Area Redevelopment Plan, un règlement qui protège depuis des décennies l’intégrité écologique et culturelle de la vallée. Avec les nouvelles règles, les projets de moins de 10 000 mètres carrés (une superficie équivalente à deux terrains de football) peuvent désormais éviter l’examen du conseil municipal, laissant des décisions cruciales entre les mains de l’administration municipale.
Aux yeux des défenseur·es de la vallée, ce seuil est dangereusement élevé. Cela signifie que des projets majeurs peuvent aller de l’avant sans audiences publiques ni intervention des représentant·es élu·es. Et selon Raquel Feroe, médecin à la retraite et membre du Edmonton Climate Hub ainsi que de l’Edmonton River Valley Conservation Coalition (ERVCC), ce changement met en péril l’avenir de la vallée. Elle souligne que le travail du Hub et de l’ERVCC converge entièrement sur la nécessité de protéger la rivière et ses abords.
« La vallée de la Saskatchewan Nord, c’est essentiellement l’épine dorsale de notre connectivité écologique à Edmonton », explique Raquel. « C’est notre source d’eau, littéralement notre vie — et notre bouée de sauvetage en période de changements climatiques et de perte de biodiversité. »
Un corridor de vie et de connexion
La vallée de la rivière Saskatchewan Nord est bien plus qu’un simple parc urbain. C’est un corridor faunique d’importance régionale, reliant les Rocheuses à la biosphère de Beaver Hills, à l’est d’Edmonton. Située au cœur de la zone écologique menacée des Aspen Parklands, elle fait partie des derniers liens naturels qui relient la forêt boréale aux Prairies. On y trouve encore des loups, des cerfs et d’innombrables autres espèces qui dépendent de la continuité de ce corridor pour survivre.

La vallée de la rivière Saskatchewan Nord à Edmonton abrite une grande diversité d’animaux et d’espèces sauvages, dont leurs oiseaux et papillons bien-aimés.
Mais cette continuité est fragile. Selon Kecia Kerr, directrice générale de la section nordique de la Société pour la nature et les parcs du Canada, la vallée a perdu plus de 4 % de ses zones naturelles depuis 2005. À l’échelle de toute la ville, cette perte s’élève plutôt à 11 %.
Les spécialistes préviennent qu’en l’absence de protections plus solides, les espaces naturels en milieu urbain deviendront extrêmement rares. Les nouveaux aménagements et sentiers risquent d’aggraver la pression exercée sur des « goulots d’étranglement » essentiels à la survie de la faune.
Le nouveau règlement, loin de répondre à ces risques, affaiblit les protections qui préservaient autrefois la vallée. « Désormais, beaucoup de choses qui n’auraient jamais pu se produire pourront se faire », précise Raquel. « Les projets n’auront tout simplement plus à revenir devant le conseil pour un second regard attentif. »
Elle souligne qu’il est crucial de comprendre comment la vallée agit comme un égalisateur social : un lieu où chacun·e peut se sentir bienvenu·e, inclus·e et connecté·e. Son rôle dans le bien-être mental et communautaire est aussi important que sa fonction écologique.
Cette accessibilité n’est pas un hasard. Les premiers urbanistes d’Edmonton avaient compris la valeur unique de la vallée — ainsi que les risques associés à la construction sur des pentes abruptes et des zones inondables. Conseillés par des architectes paysagistes, ils ont choisi de préserver la vallée comme un système de parcs continu. Leur vision a permis à Edmonton, contrairement à de nombreuses autres grandes villes nordiques, de conserver un écosystème urbain fonctionnel en son cœur.
« Cette vision existe depuis un siècle, parce que les colons ont été accueillis dans un riche lieu de rassemblement que les Premières Nations ont protégé pendant des millénaires », explique Raquel, « et elle a progressivement été intégrée dans un règlement : le North Saskatchewan River Valley Bylaw, ou River Valley Area Redevelopment Plan. »
Aujourd’hui, avertit-elle, cette vision risque de s’effondrer.
Mobilisation publique et pressions politiques
Lors de la réunion du 18 août, des Edmontonien·nes venant de tous les quartiers ont pris la parole. Des groupes comme CPAWS Northern Alberta, l’Environmental Law Centre, l’Edmonton River Valley Conservation Coalition, ainsi que de nombreux résident·es, ont exhorté les élu·es à renforcer — et non affaiblir — le règlement.
Certain·es ont demandé que le concept « d’intégrité écologique » soit directement intégré dans les cadres de planification urbaine, comme c’est le cas dans certaines villes canadiennes telles que London, permettant un usage récréatif des espaces naturels tout en priorisant leur santé écologique. D’autres ont plaidé pour que les initiatives de développement soient concentrées ailleurs, éloignant toute pression de la vallée.

Une affiche dans la vallée de la rivière Saskatchewan Nord, où l’ERVCC, des membres du Hub et la Ville d’Edmonton restaurent des terres qui n’ont pas été traitées avec le respect et la réciprocité qu’elles méritent. L’affiche indique : « Zone de restauration : Cette zone est plantée dans le cadre de la restauration d’une forêt indigène. Veuillez ne pas déranger. »
Une motion de la conseillère Jo-Anne Wright visant à renvoyer le plan pour renforcer les protections a été battue de justesse. La décision finale d’aller de l’avant a été adoptée à l’unanimité, plusieurs élu·es évoquant la nécessité d’équilibrer protection environnementale et accessibilité. Pourtant, pour de nombreux citoyen·nes, la conclusion a été profondément décevante.
Raquel y voit le résultat de dynamiques préoccupantes. Selon elle, la haute direction municipale est devenue trop proche des intérêts des promoteurs et des cabinets internationaux désireux de lancer de nouveaux projets d’infrastructure. Cela crée une pression pour privilégier les dépenses d’infrastructure et les gains économiques à court terme au détriment de la durabilité à long terme.
Plutôt que d’intégrer l’écologie au fondement des décisions, elle constate une tendance à mettre en balance les considérations environnementales, économiques et sociales comme s’il s’agissait de parts équivalentes d’un tableau comptable. Mais, souligne-t-elle, « il faut toujours considérer l’écologie en premier… sinon, on peut perdre l’écologie. »
Respecter les droits autochtones et les savoirs traditionnels
Au-delà de l’aspect écologique, ce plan soulève aussi des questions liées aux droits autochtones. Edmonton dispose d’un cadre autochtone qui fait référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), incluant le principe de consentement libre, préalable et éclairé.
Mais des intervenant·es à l’hôtel de ville — dont des membres de la Première Nation Thunderchild, comme Miranda Jimmy, ainsi que plusieurs allié·es comme Raquel — ont souligné que ce cadre n’est pas pleinement appliqué. Dans les faits, les consultations impliquent trop souvent d’informer les Premières Nations de projets déjà conçus, plutôt que de les inviter à co-créer ces projets dès le départ. C’est une occasion manquée, d’autant plus que la majorité des nouvelles aires protégées établies au Canada depuis les années 1990 sont dirigées ou codirigées par des communautés autochtones.
« On n’invite pas simplement des gens à donner leur avis sur un projet déjà planifié », insiste Raquel. « On engage les titulaires de droits pour envisager et planifier ensemble. On bénéficie de leurs connaissances, de leurs perspectives. » En s’inspirant de leaders comme Miranda Jimmy, elle conseille à tout le monde de lire le Cadre autochtone d’Edmonton.
Sans une véritable consultation nation-à-nation, la version « modernisée » du règlement risque de marginaliser la souveraineté autochtone et de reproduire des schémas d’exclusion. En limitant la participation des Premières Nations à des commentaires tardifs, la ville se prive de savoirs traditionnels essentiels à la protection durable de la vallée.
Protéger la vallée, protéger l’avenir
Raquel a rejoint le Edmonton Climate Hub lorsque ses coprésident·es ont commencé à mobiliser la communauté. Souhaitant apprendre de personnes engagées dans l’écologie et la planification carboneutre, elle a découvert un collectif passionné par la santé de la planète.
Depuis, elle intensifie son plaidoyer en reliant l’action locale aux politiques municipales, en participant à des campagnes, consultations publiques et initiatives éducatives liées à la vallée.

Des membres de l’Edmonton River Valley Conservation Coalition posent pour une photo dans la vallée de la rivière Saskatchewan Nord.
Son attachement à ce lieu est façonné par son arrivée à Edmonton en 1988, après avoir vécu dans une grande métropole, et par l’influence de son conjoint historien, qui lui a montré comment une vision à long terme a permis de protéger la vallée. Cela lui fait prendre conscience du caractère rare et précieux de ce corridor vert. Une perspective qui, dit-elle, la pousse à croire que les résident·es doivent « se réveiller » et réaffirmer leur engagement envers ce que les générations précédentes ont so soigneusement préservé.
Pour elle, protéger la vallée est indissociable du mouvement plus large pour la justice climatique en Alberta. La vallée rafraîchit la ville en été, limite les inondations, séquestre le carbone et constitue un habitat vital pour la faune et les pollinisateurs. C’est un allié naturel dans la lutte contre les changements climatiques.
C’est aussi, souligne-t-elle, une enseignante. « En apprenant à entretenir une meilleure relation avec le territoire ici, nous apprenons à mieux vivre ensemble », dit-elle. « C’est un lieu où l’on apprend la culture du partage, de la coexistence et de la vision à long terme. En nous reconnectant à la vallée, nous développons une culture du soin mutuel et de la coopération dont nous avons besoin pour atténuer et nous adapter au climat qui change. »
En d’autres termes, la lutte pour protéger la vallée dépasse largement la simple préservation des espaces verts. Elle offre un modèle vivant de réciprocité, où le bien-être humain et la santé écologique sont profondément interconnectés. La défendre, c’est transformer la manière dont les Edmontoniens comprennent leur relation à la terre, à l’eau et les uns aux autres. C’est amorcer un changement des valeurs dont les communautés de l’Alberta auront besoin pour affronter un monde qui se réchauffe rapidement.
La route (ou le corridor) à suivre
Le nouveau règlement n’est entré en vigueur qu’en novembre. D’ici là, les défenseur·es ont poursuivi leur travail de sensibilisation aux impacts écologiques du plan, de revendication pour un véritable consentement autochtone et de mobilisation pour rappeler au conseil municipal que la santé à long terme de la vallée doit primer sur les intérêts de développement à court terme.
Grâce à la sensibilisation publique, au plaidoyer politique, à l’éducation communautaire et à des alliances avec des aîné·es traditionnel·les — et de plus en plus, avec les jeunes — Raquel et les membres du Edmonton Climate Hub travaillent à ce que chaque décision concernant la vallée tienne compte des impacts cumulatifs sur la faune, la qualité de l’eau, la gestion des inondations et la résilience climatique. Leur objectif : faire de l’intégrité écologique un principe incontournable afin de garantir que la vallée demeure un habitat florissant pour la faune et un refuge vert pour tou·tes, aujourd’hui et pour les générations à venir.
Naturellement, ce travail dépasse la question d’un seul règlement. Il s’agit de cultiver une éthique durable de gestion du territoire, dans laquelle les voix des résident·es, des communautés autochtones et des expert·es en écologie sont pleinement intégrées aux décisions urbaines.
En fin de compte, en inscrivant le respect de la nature et la planification réfléchie au cœur de la gouvernance municipale, le Hub — avec l’appui des résident·es — contribue à bâtir un modèle de croissance urbaine responsable et durable, démontrant que le développement des villes ne doit jamais se faire aux dépens des écosystèmes qui les soutiennent.
En savoir plus sur les efforts de conservation de la vallée de la rivière Saskatchewan Nord.